jeudi 26 janvier 2012

1.25 Photo souvenir

JE? sur pellicule photographique reste figé comme un édifice de glace.

mercredi 18 janvier 2012

2.7 LE PINGOUIN (Frenchy-Cosy)




FRENCHY-COSY est une ville bossue, comme une corne érodée avec le temps parce qu'ici il y a quand même de l'Histoire. Juste ce qu'il faut pour qu'il y ait un peu d'érosion, pour que les passants qui passent regardent parfois derrière eux en respirant un peu. FRENCHY-COSY, de loin, n'a pas vraiment de différence avec tout le reste. C'est une ville bossue, d'accord, mais elle ne révèle pas grand chose d'intéressant. Il y a des icebergs en béton qui poussent et des étendues à leurs pieds, comme des flaques d'eau. Seulement il y a ce parfum du passé, des gouttelettes de l'Europe et c'est là que se situe tout le repère du pingouin. Le singe sherpa est toujours là, un peu épuisé par la route mais toujours là. Ils se pavane, ses yeux sont moins gros qu'à NEW-PLASTIC-CITY. Il voit plus loin. TU CROIS QU'ON VA OU COMME CA?
Ils s'enfoncent dans la terre et s'engouffrent dans un lézard mécanique géant. TU CROIS QUE CE SONT LES GENS QUI ONT CREE CA? Il hurle du bruit. Ils se font recrachés à BERRI-UQAM. C'est pleins de cubes, de lignes droites, de parallélépipèdes. Saint-Denis a ses lights qui lightent très très forts, et ça pullulent de passants. C'est même incessant. Ça parle le Frenchy frenchy comme à la maison, c'est plein de pingouins qui tripent leur vie. Saint-Denis devient alors un iceberg horizontal, un iceberg de congélateur, un truc déjà-vu, un plat préparé et les pingouins tripent dur dur parce que c'est ailleurs « comme à la maison ». Le pingouin marche comme les autres pingouins, il cherche un coin pour se poser et penser. Le singe sherpa garde les yeux plissés.
Il y a cette fille, accoudée à la table d'une terrasse. On ne sait pas ce qu'elle fait, si elle boit ou si elle mange, ou si elle attend un chum. Ou même si elle a mangé et digère, si elle pense à ce qu'elle va faire, à ce qu'elle a fait, à toutes les erreurs qu'elle a faites, à toutes celles qu'elles fera. On ne saura jamais. Elle est assise à cette table et rien que ça, ça intrigue le pingouin (le singe sherpa n'a rien vu, il suit). Il se pointe.
« Je déteste les hommes! Les hommes sont de vrais hosties de caves baveux! Mon père nous a lâché, moi et ma mère, le jour même où je suis née. Et tu sais quoi? Ce sont mes grand-parents qui se sont occupés de moi. Les hommes ne sont pas foutus d'assumer. Moi, je ne veux pas d'homme dans ma vie. Je ne peux pas leur faire confiance. Il n'y a que le cul et c'est fini. Moi, je ne veux pas d'homme pour faire un enfant, car faire un enfant est tout ce que je veux faire dans la vie. Un enfant, seule, sans homme. Si si, c'est possible, j'ai lu dans les magazines des histoires. Des histoires de femmes qui font des bébés toutes seules. Sans l'aide de qui que ce soit. Comme ça, pas d'histoire d'abandon, car moi, je n'abandonnerai jamais mon enfant. Tu connais, toi, le in-vitro? »
Et le pingouin pense. Le singe aussi mais moins (fatigué). Il pense à son père. Il ne se rappelle plus de sa tête. De ses mains. De sa taille. Il était grand, c'est sûr mais grand comment? Il pense et se demande s'il n'était pas In vitro aussi.

Un pingouin qui tripe a forcément une raison. Un pingouin qui se barre comme ça pour le simple plaisir de se barrer couve quelque chose. Se déchirer de sa terre, comme se déchirer des lambeaux de peau, puis les couvrir de couleurs, de belles couleurs, des couleurs éclatantes qui éclatent et exultent tous les yeux. Ça en jette grave. Ça en claque une bonne à la vue des passants, ça provoque des flashs, des illuminations astrales. Se déchirer et ne plus deviner ses racines: les regarder, puis les voir, puis les contempler les yeux plisser pour ensuite s'adonner à des extravagances de folies des grands espaces, de folies de « pluie d'avion » pour atterrir et ne plus les connaître. Arrivé comme un iceberg qui couvre tout tout tout, les ruines sont dessous et on ne les voit plus, elles s'immobilisent, craquent un peu avec le froid, le temps, le poids. Et comme l'Arctique, on se retrouve la face toute hachée, des couloirs de fissures et une partie se barre sans qu'on ne puisse faire quoi que ce soit. Le pingouin est un iceberg qui aggrave son cas.
Le singe sherpa souffle un peu, il a posé tous les BIG BAGS par terre. Il se sent plus léger.
Les pingouins qui tripent dur dur ici, ils s'y sont échoués car ici est comme là-bas. FRENCHY-COSY en est la réplique. POURQUOI créer DES CLONES? Le cordon ombilicale est une gaine en plastique caoutchouteux, et ça se coupe difficilement avec des ciseaux.
Le singe sherpa ferme les yeux sur sa chaise. Il pourrait dormir si il n'y avait pas autant de vent. Il a un peu froid.
Le pingouin se demande s'il n'était pas In Vitro. Il n'a pas de nombril.
La fille continuait de parler. Mais on s'en fout. La fille parle parle sans ponctuation, et c'est très difficile d'en placer une. Au début, on l'aurait cru muette, abrutie, mais en réalité elle parle beaucoup. Elle rigole souvent aussi. Elle rigole et postillonne pas mal avec la langue qui lui sort entre les dents. Le pingouin baisse les yeux de temps en temps.
Elle a des jambes poilues. Sûrement un peu de son père qui lui tenait toujours la jambe. C'est un truc qui colle au corps tout le temps, les racines.

mardi 10 janvier 2012

2.6 LE PINGOUIN (partie 5)



« C'est un gros bus de l'armée, avec toutes ces couleurs macabres et une déco intérieure vide de tout sentiment. Il a fallu changer tout ça, alors on a tout retiré, les sièges et la vieille tapisserie. Regarde comment c'était, on en voit encore un peu sur les bords, parce que tu sais, c'est vraiment difficile de retirer cette crisse de marde. Plus personne n'en voulait alors tu parles de comment qu'ils le bradaient, ce bus. Alors avec Mick on n'a pas réfléchi long, on l'a pris. Ça roule encore, c'est le principal, hé? Mick est fort dans la mécanique. C'est lui qui a tout revu. C'était pas beau au début tu aurais dû voir ça mais une fois que Mick passe par là, c'est tout clean. Qu'est ce qu'on était content. Le lendemain, on a décidé de crisser not' camp. Mick sait conduire des gros engins, et dans le nord, on a besoin de gens qui conduisent des gros engins. Moi je fais dans le tourisme et c'est aussi pleins de touristes. Je parle français, anglais, italien, un peu arabe mais il faut que je m'échauffe. Comme le bus, il a besoin de chauffer avant de partir. Je suis Acadienne. Mick est de l'Alberta alors il n'a qu'une seule langue dans sa poche, ça lui suffit pour la mécanique et les gros engins. Et toi, t'es d'où? »
Le pingouin ne répond pas. Quant au singe sherpa, c'est à se demander s'il était là, mais c'est lui qui répondait. NEW-PLASTIC-CITY, c'était sa réponse, MAIS LE PINGOUIN ON NE SAIT PAS. Disons qu'il était d'ici, au moment présent, dans un ancien bus de l'armée du Canada, aux côtés d'une Acadienne bien bavarde et d'un Albertain monoglotte.
Ils ont été pris dans un petit village au milieu des Rocky Mountains, FORT-NELSON, là où les édifices poussent comme de la glace, des édifices de pierres gelées. Ce bus, ils l'avaient croisés maintes fois mais JAMAIS il ne s'était arrêté. La première fois, c'était à DAWSON-CREEK-CREEP, Mile 0 de l'Alaska highway. Une petite ville pleine de maux, il paraît que les jeunes sont déjà vieux quand ils naissent du ventre de leur mère. Il paraît qu'ils errent comme des fantômes et qu'ils tournent en rond jusqu'à l'infini. C'est le type du moment qui leur avait dit ça, alors le pingouin ne s'est pas arrêté car la peur l'habite dans ces moments-là. Des villes sans âmes. Débordantes de vide. C'est peut-être ça « vivre au mile 0 ». Un lieu sans l'être. Sans le devenir.
C'était la première apparition du bus, là, devant eux. Sur la route. Un vieux tas rouillé qui crissent à chaque tour de pneu. IL AVANCE OU IL RECULE? (ça, c'est le singe sherpa qui chiale). Puis ils se sont arrêté à FORT-SAINT-JOHN-HOLLY-HOLE. Un paradis sur terre, au bord d'une rivière. Un pont l'enjambe comme une femme. Le pingouin a peur des ours. Ils monte dans les arbres. Il est perché. Il ne touche plus le sol.
Le lendemain, un Vieux de la route, un Vieux qui porte l'asphalte sur sa peau les a pris. Un pionnier avec un grand P, comme pour pochtron tellement que son pif savait stocker de la bouteille. Il racontait qu'il a construit l'Alaska Highway de ses propres mains et qu'il connaissait toutes ses courbes, comme les courbes des filles sur les magazines. JE REPARE LES GROSSES MACHINES ET JE PARS EN REPARER UNE, A FORT-NELSON. Et le reste du temps, il oublie qu'il a construit la route pour l'emmener là où il répare les grosses machines.
C'était la deuxième apparition du bus, là, devant eux, encore. Un tas de fer oxydé par le temps, par les kilomètres de routes gravelées. IL VA PAS S'ARRÊTER QUAND MÊME?! (encore le singe sherpa qui, d'ailleurs, n'est plus sherpa le temps passé dans la caisse, il devient commentateur). Le bus tangue. On dirait qu'il va se casser la gueule. Le pingouin met pied à terre à FORT-NELSON. Le singe sherpa pose la tente. Il y a des montagnes vertes couvertes de glace autour. Les icebergs veillent encore...
Le lendemain, il a fallu que le pingouin marche un peu. Le singe sherpa marchait sur ses pas, dans son ombre. Une caisse passe. Les caisse passent à côté des passants. Ça fait du vent. Ils ont marché avec des pieds en panne d'essence, à marcher sans avancer parce qu'on n'a plus l'impression de pouvoir avancer. C'est un effet du Snake qui s'en vient, avec tout ce qui impliquer le temps et l'espace. Les caisses se succèdent et rien ne se passe.
C'était la dernière fois que le bus tournait devant eux. Il a continué son chemin mais il s'est arrêté très très loin. TU VOIS! IL S'EST ARRÊTE, CA N'AVANCE PLUS CES MACHINS-LA! Il n'a même pas reculé. Il est resté au point mort, comme en duel, yeux dans les yeux. Il fume. Il capote sous le capot. Il pue.
Quand la porte s'est ouverte, c'est de la musique qui en est sortie. Et le pingouin aime ça, la musique. De la bonne vieille disco flash hip hop hippie. Un truc du jamais-entendu.
Ça sentait bon la route...

lundi 2 janvier 2012

2.5 LE PINGOUIN (partie 4)



ATTENDS AVANT DE PARTIR! TU NE VAS PAS LAISSER TON BIG BAG COMME CA! Le singe est sherpa du pingouin. Ses jambes deviennent des allumettes, les genoux craquent sur la pression et ça fait des étincelles. Le singe est sherpa du pingouin. Il porte un big bag sur les épaules, et c'est tout ce qu'il a. Mais il ne sait pas que c'est pour toujours.
Le pingouin rêve d'icebergs en éruption, de Terra Incognita, mais TOUT LE MONDE SAIT QUE LE MONDE EST à DECOUVERT LES BRAS EN L'AIR, et que, par conséquent, Terra Incognita est ailleurs. Les icebergs bétonnés de NEW-YORK-PLASTIC-CITY le dégoûtent comme peuvent goutter les glaçons sous les rayons ultraviolets. Ils dégoulinent ET IL RESTE QUOI EN FIN DE COMPTE? Des édifices osseux, des colonnes colossales, des ruines vouées à demeurer comme ça, fixes. Wall Street est une impasse. Et les loupiotes de Broadway clignotent comme clignotent les feux de signalisation, les systèmes d'alarme, les feux de détresse. C'est plein de détresse dedans. Détresse pour les hommes qui courent et qui s'étalent sans savoir que les icebergs coulent. C'est triste. Détresse à travers les canalisations qui canalisent tout tout tout, les eaux, le feux, l'air comprimé, les bouts de terre, les éléments. Canalisations de la détresse pour la concentrer et la faire vomir par les robinets, les égouts, les piscines, les chiottes, les embouchures, les conduits d'air et c'est tout NEW-YORK-PLASTIC-CITY qui dégueule. Le pingouin est déçu. Bec baissé, il croise l'ombre du singe sherpa. Il a l'air de lui coller au cul comme un chewing-gum qui fait des fils. C'est un putain de gars qui s'est fait mâché des tonnes de fois, il se dit. C'est un putain de gars qui semble vouloir faire la plus grosse connerie de sa vie, comme... comme en ce moment, faire ce qu'il n'a pas droit de faire. Une tentative d'échappatoire, un risque d'exit. Il se fait sherpa pour ne pas être autre chose. D'ailleurs il a tout essayé déjà, et sherpa n'était pas dans sa to-do-liste.
Ensemble, ils ont les pupilles dilatées. Ils captent tout ce qu'il y a à capter. Le singe dans sa peau de sherpa, et le pingouin dans sa peau de pingouin, ils scrutent les perpendiculaires et les parallèles de la Ville. Il y a des Chinois jaunes qui déménagent des sofas rouges, et c'est alors la révolution dans la rue. Les taxis jaunes klaxonnent sonnent comme des képis sous acide. Les passants qui passent marchent au pas et ce sont leurs cheveux qui bougent. C'est un jour d'hiver (ou divers?!) qui laisse passer la fumées par les bouches, et c'est un brouillard qui naît.
Et c'est ça qu'on appelle CHANGER D'AIR?
Alors le pingouin quitte NEW-PLASTIC-CITY, en apportant avec lui les coulisses dégueulasses d'icebergs en plastique, d'icebergs « pour-de-faux » qui ne dégoulinent même pas « pour-de-vrai ». Le singe suit. Il est sherpa (n'oubliez pas!). Tous les deux marchent vers le nord. Vers Montréal-Frenchy-Cosy, pour retrouver le repère exact, le phare de la conquête. Tous les deux veulent se rendre là-bas.