mercredi 18 janvier 2012

2.7 LE PINGOUIN (Frenchy-Cosy)




FRENCHY-COSY est une ville bossue, comme une corne érodée avec le temps parce qu'ici il y a quand même de l'Histoire. Juste ce qu'il faut pour qu'il y ait un peu d'érosion, pour que les passants qui passent regardent parfois derrière eux en respirant un peu. FRENCHY-COSY, de loin, n'a pas vraiment de différence avec tout le reste. C'est une ville bossue, d'accord, mais elle ne révèle pas grand chose d'intéressant. Il y a des icebergs en béton qui poussent et des étendues à leurs pieds, comme des flaques d'eau. Seulement il y a ce parfum du passé, des gouttelettes de l'Europe et c'est là que se situe tout le repère du pingouin. Le singe sherpa est toujours là, un peu épuisé par la route mais toujours là. Ils se pavane, ses yeux sont moins gros qu'à NEW-PLASTIC-CITY. Il voit plus loin. TU CROIS QU'ON VA OU COMME CA?
Ils s'enfoncent dans la terre et s'engouffrent dans un lézard mécanique géant. TU CROIS QUE CE SONT LES GENS QUI ONT CREE CA? Il hurle du bruit. Ils se font recrachés à BERRI-UQAM. C'est pleins de cubes, de lignes droites, de parallélépipèdes. Saint-Denis a ses lights qui lightent très très forts, et ça pullulent de passants. C'est même incessant. Ça parle le Frenchy frenchy comme à la maison, c'est plein de pingouins qui tripent leur vie. Saint-Denis devient alors un iceberg horizontal, un iceberg de congélateur, un truc déjà-vu, un plat préparé et les pingouins tripent dur dur parce que c'est ailleurs « comme à la maison ». Le pingouin marche comme les autres pingouins, il cherche un coin pour se poser et penser. Le singe sherpa garde les yeux plissés.
Il y a cette fille, accoudée à la table d'une terrasse. On ne sait pas ce qu'elle fait, si elle boit ou si elle mange, ou si elle attend un chum. Ou même si elle a mangé et digère, si elle pense à ce qu'elle va faire, à ce qu'elle a fait, à toutes les erreurs qu'elle a faites, à toutes celles qu'elles fera. On ne saura jamais. Elle est assise à cette table et rien que ça, ça intrigue le pingouin (le singe sherpa n'a rien vu, il suit). Il se pointe.
« Je déteste les hommes! Les hommes sont de vrais hosties de caves baveux! Mon père nous a lâché, moi et ma mère, le jour même où je suis née. Et tu sais quoi? Ce sont mes grand-parents qui se sont occupés de moi. Les hommes ne sont pas foutus d'assumer. Moi, je ne veux pas d'homme dans ma vie. Je ne peux pas leur faire confiance. Il n'y a que le cul et c'est fini. Moi, je ne veux pas d'homme pour faire un enfant, car faire un enfant est tout ce que je veux faire dans la vie. Un enfant, seule, sans homme. Si si, c'est possible, j'ai lu dans les magazines des histoires. Des histoires de femmes qui font des bébés toutes seules. Sans l'aide de qui que ce soit. Comme ça, pas d'histoire d'abandon, car moi, je n'abandonnerai jamais mon enfant. Tu connais, toi, le in-vitro? »
Et le pingouin pense. Le singe aussi mais moins (fatigué). Il pense à son père. Il ne se rappelle plus de sa tête. De ses mains. De sa taille. Il était grand, c'est sûr mais grand comment? Il pense et se demande s'il n'était pas In vitro aussi.

Un pingouin qui tripe a forcément une raison. Un pingouin qui se barre comme ça pour le simple plaisir de se barrer couve quelque chose. Se déchirer de sa terre, comme se déchirer des lambeaux de peau, puis les couvrir de couleurs, de belles couleurs, des couleurs éclatantes qui éclatent et exultent tous les yeux. Ça en jette grave. Ça en claque une bonne à la vue des passants, ça provoque des flashs, des illuminations astrales. Se déchirer et ne plus deviner ses racines: les regarder, puis les voir, puis les contempler les yeux plisser pour ensuite s'adonner à des extravagances de folies des grands espaces, de folies de « pluie d'avion » pour atterrir et ne plus les connaître. Arrivé comme un iceberg qui couvre tout tout tout, les ruines sont dessous et on ne les voit plus, elles s'immobilisent, craquent un peu avec le froid, le temps, le poids. Et comme l'Arctique, on se retrouve la face toute hachée, des couloirs de fissures et une partie se barre sans qu'on ne puisse faire quoi que ce soit. Le pingouin est un iceberg qui aggrave son cas.
Le singe sherpa souffle un peu, il a posé tous les BIG BAGS par terre. Il se sent plus léger.
Les pingouins qui tripent dur dur ici, ils s'y sont échoués car ici est comme là-bas. FRENCHY-COSY en est la réplique. POURQUOI créer DES CLONES? Le cordon ombilicale est une gaine en plastique caoutchouteux, et ça se coupe difficilement avec des ciseaux.
Le singe sherpa ferme les yeux sur sa chaise. Il pourrait dormir si il n'y avait pas autant de vent. Il a un peu froid.
Le pingouin se demande s'il n'était pas In Vitro. Il n'a pas de nombril.
La fille continuait de parler. Mais on s'en fout. La fille parle parle sans ponctuation, et c'est très difficile d'en placer une. Au début, on l'aurait cru muette, abrutie, mais en réalité elle parle beaucoup. Elle rigole souvent aussi. Elle rigole et postillonne pas mal avec la langue qui lui sort entre les dents. Le pingouin baisse les yeux de temps en temps.
Elle a des jambes poilues. Sûrement un peu de son père qui lui tenait toujours la jambe. C'est un truc qui colle au corps tout le temps, les racines.

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