mardi 10 janvier 2012

2.6 LE PINGOUIN (partie 5)



« C'est un gros bus de l'armée, avec toutes ces couleurs macabres et une déco intérieure vide de tout sentiment. Il a fallu changer tout ça, alors on a tout retiré, les sièges et la vieille tapisserie. Regarde comment c'était, on en voit encore un peu sur les bords, parce que tu sais, c'est vraiment difficile de retirer cette crisse de marde. Plus personne n'en voulait alors tu parles de comment qu'ils le bradaient, ce bus. Alors avec Mick on n'a pas réfléchi long, on l'a pris. Ça roule encore, c'est le principal, hé? Mick est fort dans la mécanique. C'est lui qui a tout revu. C'était pas beau au début tu aurais dû voir ça mais une fois que Mick passe par là, c'est tout clean. Qu'est ce qu'on était content. Le lendemain, on a décidé de crisser not' camp. Mick sait conduire des gros engins, et dans le nord, on a besoin de gens qui conduisent des gros engins. Moi je fais dans le tourisme et c'est aussi pleins de touristes. Je parle français, anglais, italien, un peu arabe mais il faut que je m'échauffe. Comme le bus, il a besoin de chauffer avant de partir. Je suis Acadienne. Mick est de l'Alberta alors il n'a qu'une seule langue dans sa poche, ça lui suffit pour la mécanique et les gros engins. Et toi, t'es d'où? »
Le pingouin ne répond pas. Quant au singe sherpa, c'est à se demander s'il était là, mais c'est lui qui répondait. NEW-PLASTIC-CITY, c'était sa réponse, MAIS LE PINGOUIN ON NE SAIT PAS. Disons qu'il était d'ici, au moment présent, dans un ancien bus de l'armée du Canada, aux côtés d'une Acadienne bien bavarde et d'un Albertain monoglotte.
Ils ont été pris dans un petit village au milieu des Rocky Mountains, FORT-NELSON, là où les édifices poussent comme de la glace, des édifices de pierres gelées. Ce bus, ils l'avaient croisés maintes fois mais JAMAIS il ne s'était arrêté. La première fois, c'était à DAWSON-CREEK-CREEP, Mile 0 de l'Alaska highway. Une petite ville pleine de maux, il paraît que les jeunes sont déjà vieux quand ils naissent du ventre de leur mère. Il paraît qu'ils errent comme des fantômes et qu'ils tournent en rond jusqu'à l'infini. C'est le type du moment qui leur avait dit ça, alors le pingouin ne s'est pas arrêté car la peur l'habite dans ces moments-là. Des villes sans âmes. Débordantes de vide. C'est peut-être ça « vivre au mile 0 ». Un lieu sans l'être. Sans le devenir.
C'était la première apparition du bus, là, devant eux. Sur la route. Un vieux tas rouillé qui crissent à chaque tour de pneu. IL AVANCE OU IL RECULE? (ça, c'est le singe sherpa qui chiale). Puis ils se sont arrêté à FORT-SAINT-JOHN-HOLLY-HOLE. Un paradis sur terre, au bord d'une rivière. Un pont l'enjambe comme une femme. Le pingouin a peur des ours. Ils monte dans les arbres. Il est perché. Il ne touche plus le sol.
Le lendemain, un Vieux de la route, un Vieux qui porte l'asphalte sur sa peau les a pris. Un pionnier avec un grand P, comme pour pochtron tellement que son pif savait stocker de la bouteille. Il racontait qu'il a construit l'Alaska Highway de ses propres mains et qu'il connaissait toutes ses courbes, comme les courbes des filles sur les magazines. JE REPARE LES GROSSES MACHINES ET JE PARS EN REPARER UNE, A FORT-NELSON. Et le reste du temps, il oublie qu'il a construit la route pour l'emmener là où il répare les grosses machines.
C'était la deuxième apparition du bus, là, devant eux, encore. Un tas de fer oxydé par le temps, par les kilomètres de routes gravelées. IL VA PAS S'ARRÊTER QUAND MÊME?! (encore le singe sherpa qui, d'ailleurs, n'est plus sherpa le temps passé dans la caisse, il devient commentateur). Le bus tangue. On dirait qu'il va se casser la gueule. Le pingouin met pied à terre à FORT-NELSON. Le singe sherpa pose la tente. Il y a des montagnes vertes couvertes de glace autour. Les icebergs veillent encore...
Le lendemain, il a fallu que le pingouin marche un peu. Le singe sherpa marchait sur ses pas, dans son ombre. Une caisse passe. Les caisse passent à côté des passants. Ça fait du vent. Ils ont marché avec des pieds en panne d'essence, à marcher sans avancer parce qu'on n'a plus l'impression de pouvoir avancer. C'est un effet du Snake qui s'en vient, avec tout ce qui impliquer le temps et l'espace. Les caisses se succèdent et rien ne se passe.
C'était la dernière fois que le bus tournait devant eux. Il a continué son chemin mais il s'est arrêté très très loin. TU VOIS! IL S'EST ARRÊTE, CA N'AVANCE PLUS CES MACHINS-LA! Il n'a même pas reculé. Il est resté au point mort, comme en duel, yeux dans les yeux. Il fume. Il capote sous le capot. Il pue.
Quand la porte s'est ouverte, c'est de la musique qui en est sortie. Et le pingouin aime ça, la musique. De la bonne vieille disco flash hip hop hippie. Un truc du jamais-entendu.
Ça sentait bon la route...

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