vendredi 20 avril 2012

3.4 ERIC PLAMONDON




53

ON THE ROAD 

Si Kérouac a réussi à écrire On the Road en trois semaines, après sept ans de bohème, je devrais bien être capable d'écrire Sur l'Autoroute en une semaine, après neuf ans d'embouteillages. S'agit juste de laisser aller, de dérouler le fil.

Prendre son souffle, et bang!

Luc Plamondon, Hongrie-Hollywood Express




(c'est un gars qui raconte la vie de Tarzan, ou plutôt celle de Weismuller, le gars qui incarné Tarzan au cinoche, cet athlète nageur de fou malade qui s'est mis à faire du cinoche, puis qui a chuté dans l'anonymat. Très très bon petit pavé! Avec des sursauts à la Brautigan, des éruptions de trips, des histoires de malheur et de bonheur, des femmes, des hommes, Cheeta et Jane, du cinoche en boîte. De l'humour et de la sérieusité.)

mardi 10 avril 2012

2.15 LE PINGOUIN (Whitehorse)





WHITEHORSE, où l'on n'a jamais vu des chevaux blancs courir, il paraît que c'est l'effet de l'eau qui court qui fait fait ça. On a encore aujourd'hui les premières hallucinations des hommes quand ils sont venus dans ce pays: des chevaux blancs qui courent. Whitehorse. Il faut dire qu'il y a des petits rapides là-bas, on sent que les icebergs se dégonflent à haute transe au printemps. Les chevaux blancs ruissellent de toute leur force (de cheval!). Le bus de l'armée s'arrête dans un parking vide pour déposer le pingouin. L'Acadienne et son Albertain repartiront vers Dawson City après avoir fait chier les chiens (un chien chie beaucoup, surtout dans un bus).
Le pingouin prit son BIG BAG et se mit à marcher vers ce qui semblait être le centre.

Personne dans les rues. Les bâtiments sont plats, il manque de hauteur. Les façades sont rongées. Les rues sont ridées. Il y a un petit groupe de gens qui blablatent, et qui blablatent tout doucement. Un groupe d'Indiens, avec des gueules d'Indiens, et des casquettes d'Indiens sur le crâne, des pantalons crades et des t-shirts crades. Quand ils ont souri en voyant le pingouin passer, il n'y avait pas dents, ou presque. Juste assez pour boire des cannes de bière et roter la bouche en cœur. SI TU CHERCHES A DORMIR, T'AS QU'A ALLER TOUT DROIT, Y A UN HOTEL PAS CHER, UN PEU DEGUEULASSE MAIS PAS CHER. VAS VOIR, PINGOUIN! La venue d'un pingouin en BIG BAG n'avait pas l'air de les étonner.
La Yukon River passe juste à côté. Il est majestueux. Il coule tranquillou sans se soucier qu'à côté de lui, des building bizarres poussaient. Le pingouin s'arrête un instant et pense...

23h, et le soleil paraît s'être arrêté à 15h. Il flotte une douce sensation de temps arrêté à Whitehorse. L'eau est claire, elle galope proprement, on voit tout tout tout, les quelques poissons et un castor fait des courbes en nageant. Le pingouin prend des cailloux et s'amuse à faire le maximum de ricochets. PLIF PLIF PLIF PLOUF. Passer quelques jours à Whitehorse et voir ce qu'il en est. PLIF PLIF PLIF PLOUF. Trouver une intrigue, un sens à l'histoire, quelque chose pour débuter quelque chose, il faut le it, PLIF PLIF PLIF PLOUF. Trouver un attachement, un intérêt à la chose, au trip, à cette séquence de vie. PLIF PLIF PLOUF. Mais qu'est ce qu'il fout à Whitehorse, Alaska Highway, Snake, blablatage, rencontres et disparitions et tout et tout, PLIF PLIF PLIF PLOUF.
En ramassant un dernier galet, le pingouin mit la main sur une montre argenté. Elle marche encore. Une montre avec une petite inscription « Quartz », une montre qui fait TIC TAC sans arrêt et qui montre le temps qui passe. Et c'est flippant de voir le temps qui passe.
Il se l'enfila à l'aile gauche, prit son BIG BAG et continua de marcher vers là-bas, à l'hôtel pas cher mais dégueu, le GOLD RUSH INN.

A Whitehorse, les murs sont pleins de peinture. Il y a des fresques décolorées. Ça montre des chercheurs d'or, ça montre des mines d'or, ça montre des soleils quand il fait nuit, ça montre des Indiens qui sourient et qui ne boivent pas et qui sont propres et qui ont des vêtements de grands peuples. Ça montre des épisodes de gloire et des souvenirs, des rêves de glace, de neige, de blanc comme des pages blanches bonnes à être gribouiller, et l'on pourrait produire des tonnes de brouillons, des tonnes d'essais. On savait de toute manière que les icebergs recouvriraient tout et nous permettraient de tout recommencer.
En marchant sur la 2nde Avenue, la vie semblait s'être fait la malle mais les yeux du pingouin s'illuminaient, et il pouvait presque entendre des chevaux taper des sabots (l'hallucination des premiers hommes).

2.14 LE PINGOUIN (Alaska Highway)




Il y a le calme plat. Et derrière le calme plat, la terre prend de l'altitude, elle gonfle, elle ouvre sa gueule et elle se met à parler. Dans le nord de la Colombie britannique, c'est impressionnant comme ça grouille de voix, ça papote toute la nuit, le pingouin n'a pas la conscience tranquille. Il y a ces grand piafs noirs qui murmurent des formules magiques, il y a des grognements de monstres à poil dans les bois, que dis-je, dans les grands espaces. Il y a de l'écho. Dans les grands espaces verts, on entend l'eau qui s'échappe des icebergs, puis on entend les icebergs gémir en perdant tout leur sang (un iceberg n'aime pas le soleil, surtout quand il est brûlant). Le pingouin est dans ce fameux bus de l'armée désaffecté. La petite Acadienne sort les chiens. Son « chum » albertain sort pisser un coup. Ils se sont arrêtés pour la nuit, histoire de prendre une pause, histoire de mettre un peu de côté le Snake. Il y a un pont qui enjambe une rivière et une clairière à côté.
Au moins personne ne les emmerdera.

Le pingouin fait un tour sur lui-même. Il n'y a pas un bruit. C'est calme comme la mort.

A l'entrée du pont, il y a un panneau qui raconte qu'ici, à cet endroit même, des hommes se sont rencontrés. Qu'ici, à cet point, la route s'est jointe, que désormais (comme c'est merveilleux!) l'Alaska Highway était achevée, que (enfin!) les Ricains pouvaient amener plein plein plein de munitions à l'autre bout pour bouter les Jap'. Sur le panneau, on souligne que c'est une prouesse de fou: couper 10km d'arbre par jour, c'est un véritable boulot de bucherons! Il y avait une photo de l'équipe: des Amérindiens, des Chinois, des gros barbus, des maigres à lunettes, beaucoup de blacks aux dents blanches.
Le pingouin se rappelle de ce vieux qui l'avait pris avant le bus de l'armée. C'était un vieux briscard, un réparateur de BIG MACHINES qui font du bruit de la vapeur, un gars qui bidouille tout ce qu'il y a à bidouiller, et c'était très cher payé. Il a eu droit à tout un discours sur sa jeunesse, à l'époque où il travaillait sur la route, pour la route, il a créé une partie de l'âme du Snake. Il savait encore les moindres défauts de la route, les difficultés qui lui ont causé plusieurs rupture de fatigue, des cessions de la colonne vertébrale, des arrachages de bras, des engueulades entre les autochtones et les blacks. ET LE PLUS DUR, TU SAIS L'PINGOUIN, C'EST QUAND VIENT LA NUIT PARCE QUE TU SAIS JAMAIS QUAND ELLE FINIT, OU QUAND ELLE COMMENCE, CE PAYS EST FUCKE, CETTE ROUTE EST FUCKEE!

Le pingouin revint près du bus. L'Acadienne et son chum sont avec les chiens à l'intérieur. Il se met à poser sa tente (car un pingouin demeure dans un cocon quand il ferme les yeux).
Peu à peu, des sons se font entendre. D'abord ça semble grouiller mais ce n'est que le vent qui fait tout bouger, un tout petit peu. Puis un peu plus, et un peu plus. Le soleil es toujours en suspens mais il a du mal à s'accrocher. Il y a des gros piafs noirs qui planent, il entend l'air frotter sur leurs ailes, ce sont des avions noirs. Des brames qui couvrent le courant de la rivière. Des gémissements de bêtes qui crissent dans les arbres. Ça grouille comme dans une fourmilière et le pingouin reste calfeutrer dans sa tente.
Le pingouin dort comme un cochon d'Inde, comme un iceberg momifié.

vendredi 6 avril 2012

3.3 Jacques Poulain




LE VIEIL HOMME AU BORD DU MISSISSIPPI

Non loin de Davenport, sur la 80, ils respirèrent tout à coup une odeur spéciale. La Grande Sauterelle, qui était à l'arrière où elle écrivait une lettre à sa mère, se leva et vint s'asseoir à l'avant. Jack humait l'air et regardait de chaque côté de la route.
C'était une odeur humide et accablante, épaisse et comme un peu vaseuse, semblable à ce que l'ont pouvait sentir dans un sous-bois marécageux, un mélange d'eau, de terre et de plantes, une odeur boueuse et de mousse vieillie.
En arrivant à un pont, ils virent un cours d'eau très large avec des eaux très jaunes et lourdes; ils comprirent tous les deux et sans avoir besoin de se dire un mot que c'était le Mississippi, le Père des Eaux, le fleuve qui séparait l'Amérique en deux et qui reliait le Nord et le Sud, le grand fleuve de Louis Jolliet et du père Marquette, le fleuve sacré des Indiens, le fleuve des esclaves noirs et du coton, le fleuve de Mark Twain et de Faulkner, du jazz et des bayous, le fleuve mythique et légendaire dont on disait qu'il se confondait avec l'âme de l'Amérique.
De l'autre côté du pont, Jack prit une route menant à Davenport et, une fois dans cette ville, il dirigea le minibus vers les quais; ils aboutirent à un vaste terrain où se trouvaient un parc de stationnement et une gare maritime.
Devant eux s'étendait un quai où flânaient quelques clochards et un vieil homme qui regardait le fleuve; le vieux n'avait rien de spécial si ce n'est que sa peau brune et toute ridée lui donnait l'air très âge. Ils descendirent du Volks pour aller saluer le Mississippi. Il faisait chaud et humide et le fleuve roulait paresseusement ses eaux boueuses vers le Sud. Au bout d'un moment, Jack s'approcha du vieil homme et échangea quelques mots avec lui. Plus tard, lorsqu'ils eurent repris la route, il essaya d'expliquer quelque chose à la fille; c'était difficile de trouver les mots justes et il hésitait.
 - Chaque fois que... c'est toujours la même chose, dit-il, chaque fois que je vois un vieil homme au bord d'une rivière ou d'un fleuve, il faut que j'aille lui parler -c'est plus fort que moi.

La route qu'ils suivaient maintenant n'était plus la 80, c'était la 61 et elle n'allait pas vers l'ouest, elle allait droit au sud. C'était la route qu'ils allaient suivre jusqu'à Saint-Louis.
- Longtemps je me suis demandé pourquoi je faisais ça, poursuivit Jack. Je ne comprenais pas. Je voyais un vieil homme au bord de l'eau et, chaque fois, quelque chose me poussait à aller lui parler. Mais aujourd'hui, je pense que j'ai trouvé la raison.
Il se tut; il laissa la silence se prolonger et, finalement, la fille demanda quelle était cette raison.
- Maintenant que je veux le dire, ça me paraît complètement ridicule, dit-il.
- Ça ne fait rien, dit-elle.
- Voilà, dit-il. Ce que les vieux contemplent, quand ils rêvent au bord d'un cours d'eau, c'est leur propre mort; je suis maintenant assez vieux pour le savoir. Et moi, je m'approche d'eux parce qu'au fond de moi, il y a une ou deux questions que je voudrais leur poser. Des questions que je me suis pose depuis longtemps. Je voudrais qu'ils me disent ce qu'ils aperçoivent de l'autre côté et s'ils ont trouvé comment on fait pour traverser. Voilà, c'est tout.



Jacques Poulain, VOLKSWAGEN BLUES


(Comme une envie de chier, un gars décide de retrouver son frère. Il lui envoyait pleins de cartes postales il y a quelques années, la dernière vient de Gaspé, au Québec. Alors il y va, il prend une autostopeuse sur la route, et se rend compte que son frère s'est barré aux USA. Avec la fille, ils parcourent le continent américain dans un combi Volkswagen, un peu comme les premiers explorateurs Européens. Un bon mélange d'histoire, de trip, d'introspection. Le gars s'appelle quand même Jacques, comme Kerouac, Cartier, London... c'est plutôt cool de s'appeler Jack en fin de compte!)

jeudi 5 avril 2012

2.13 LE PINGOUIN (Méditations)




Dans un fourgon blindé blindé, blindé comme une tortue, une caisse qui sonne ses dernières heures, un vieux tacot qui TEUF TEUF il y avait un vieux Québécois dedans. Et il gardait les deux mains sur le volant car il fallait garder le cap ET LE CAP, MOI, JE SAIS LE GARDER qu'il disait. Il avait embarqué le pingouin pour rester les yeux ouverts assez longtemps et rentrer chez lui, parce que le Grand Nord touchait à sa fin, parce que le soleil se faisait la malle lui aussi. Au Yukon, les éléments se mettent à couler chaque saison: la neige au printemps, les couleurs en automne.
Il fallait lui raconter des histoires mais des histoires, le pingouin, il n'en connaissait pas. Ou bien elles étaient toutes foutues, sans grand suspens, sans intrigue extraordinaire. MAIS DES HISTOIRES, TU DOIS BIEN EN VIVRE 'STIE QUAND TU TRIPPES COMME UN PINGOUIN!
Mais le pingouin n'a pas d'histoire à raconter. Il y a des sensations, le battement continu du cœur qui BOUNCE BOUNCE, des yeux qui voient et qui se marrent et qui s'étiolent pour passer à autre chose, des bouches pour parler et blablater autant qu'on puisse blablater sans se prendre au sérieux, car SE PRENDRE AU SERIEUX, C'EST DEVENIR FOU! (dixit le Chux, un autre pingouin qui trip en acide d'ostie!). Dans les histoires, les détails flous prennent de l'importance, l'action est au cœur comme un cratère, une éruption, un HIROSHIMA de sérieusitée. Il n'y pas plus complexe comme une intrigue, telles que les histoires d'amour qui n'en finissent pas et détruisent, et rendent fou les protagonistes.
Le pingouin n'a rien à raconter comme histoire. Le Snake, c'est de la méditation. La route, c'est de la méditation. Les Grands Corbeaux qui gueulent, c'est de la médiation. Et le vieux Québécois, qui tenait encore plus fort le volant dans ses mains, l'écoutait la bouche ouverte. Un fil de bave.
Jack Kerouac s'en branlait pas mal de l'histoire, et ses poèmes tiennent pas mal des mantras, le Snake l'avait pris à la gorge alors, forcément, il ne pouvait plus qu'à cracher tout ce qu'il lui disait.
Le vieux Québécois regardait la route comme l'horizon, mais C'EST L'HORIZON QUI DEFILE SOUS MES PIEDS?! L'espace se décontracte, il a trop été estomaqué par la sérieusitée.

Ils ont roulé plusieurs heures sur l'Alaska Higway.

'STIE! FAUT QU'ON S'ARRÊTE AUX LIARD HOTSPRINGS! C'est un trou d'eau chaude qui sort de la terre, au milieu des arbres. Liard Hotsprings, son nom fait penser à une mascarade, à un mensonge. Sans doute que les premiers propos de cette découverte n'avaient pas été pris au sérieux, que ce n'était que les dires d'un menteur. Liard Hotsprings.
Le pingouin a vu toute cette eau sortir de la terre. Elle fait des bulles, elle bouge, elle parle, elle coule vite vite pour ne plus s'arrêter, et se transformer quelque part en édifice d'icebergs en rut.

Le pingouin et le vieux Québécois ont le cul trempé, les pieds qui papotent dans l'eau fumante qui ronronne. Ils regardent l'eau qui monte monte en vapeur, comme un iceberg en fusion.