vendredi 20 avril 2012

3.4 ERIC PLAMONDON




53

ON THE ROAD 

Si Kérouac a réussi à écrire On the Road en trois semaines, après sept ans de bohème, je devrais bien être capable d'écrire Sur l'Autoroute en une semaine, après neuf ans d'embouteillages. S'agit juste de laisser aller, de dérouler le fil.

Prendre son souffle, et bang!

Luc Plamondon, Hongrie-Hollywood Express




(c'est un gars qui raconte la vie de Tarzan, ou plutôt celle de Weismuller, le gars qui incarné Tarzan au cinoche, cet athlète nageur de fou malade qui s'est mis à faire du cinoche, puis qui a chuté dans l'anonymat. Très très bon petit pavé! Avec des sursauts à la Brautigan, des éruptions de trips, des histoires de malheur et de bonheur, des femmes, des hommes, Cheeta et Jane, du cinoche en boîte. De l'humour et de la sérieusité.)

mardi 10 avril 2012

2.15 LE PINGOUIN (Whitehorse)





WHITEHORSE, où l'on n'a jamais vu des chevaux blancs courir, il paraît que c'est l'effet de l'eau qui court qui fait fait ça. On a encore aujourd'hui les premières hallucinations des hommes quand ils sont venus dans ce pays: des chevaux blancs qui courent. Whitehorse. Il faut dire qu'il y a des petits rapides là-bas, on sent que les icebergs se dégonflent à haute transe au printemps. Les chevaux blancs ruissellent de toute leur force (de cheval!). Le bus de l'armée s'arrête dans un parking vide pour déposer le pingouin. L'Acadienne et son Albertain repartiront vers Dawson City après avoir fait chier les chiens (un chien chie beaucoup, surtout dans un bus).
Le pingouin prit son BIG BAG et se mit à marcher vers ce qui semblait être le centre.

Personne dans les rues. Les bâtiments sont plats, il manque de hauteur. Les façades sont rongées. Les rues sont ridées. Il y a un petit groupe de gens qui blablatent, et qui blablatent tout doucement. Un groupe d'Indiens, avec des gueules d'Indiens, et des casquettes d'Indiens sur le crâne, des pantalons crades et des t-shirts crades. Quand ils ont souri en voyant le pingouin passer, il n'y avait pas dents, ou presque. Juste assez pour boire des cannes de bière et roter la bouche en cœur. SI TU CHERCHES A DORMIR, T'AS QU'A ALLER TOUT DROIT, Y A UN HOTEL PAS CHER, UN PEU DEGUEULASSE MAIS PAS CHER. VAS VOIR, PINGOUIN! La venue d'un pingouin en BIG BAG n'avait pas l'air de les étonner.
La Yukon River passe juste à côté. Il est majestueux. Il coule tranquillou sans se soucier qu'à côté de lui, des building bizarres poussaient. Le pingouin s'arrête un instant et pense...

23h, et le soleil paraît s'être arrêté à 15h. Il flotte une douce sensation de temps arrêté à Whitehorse. L'eau est claire, elle galope proprement, on voit tout tout tout, les quelques poissons et un castor fait des courbes en nageant. Le pingouin prend des cailloux et s'amuse à faire le maximum de ricochets. PLIF PLIF PLIF PLOUF. Passer quelques jours à Whitehorse et voir ce qu'il en est. PLIF PLIF PLIF PLOUF. Trouver une intrigue, un sens à l'histoire, quelque chose pour débuter quelque chose, il faut le it, PLIF PLIF PLIF PLOUF. Trouver un attachement, un intérêt à la chose, au trip, à cette séquence de vie. PLIF PLIF PLOUF. Mais qu'est ce qu'il fout à Whitehorse, Alaska Highway, Snake, blablatage, rencontres et disparitions et tout et tout, PLIF PLIF PLIF PLOUF.
En ramassant un dernier galet, le pingouin mit la main sur une montre argenté. Elle marche encore. Une montre avec une petite inscription « Quartz », une montre qui fait TIC TAC sans arrêt et qui montre le temps qui passe. Et c'est flippant de voir le temps qui passe.
Il se l'enfila à l'aile gauche, prit son BIG BAG et continua de marcher vers là-bas, à l'hôtel pas cher mais dégueu, le GOLD RUSH INN.

A Whitehorse, les murs sont pleins de peinture. Il y a des fresques décolorées. Ça montre des chercheurs d'or, ça montre des mines d'or, ça montre des soleils quand il fait nuit, ça montre des Indiens qui sourient et qui ne boivent pas et qui sont propres et qui ont des vêtements de grands peuples. Ça montre des épisodes de gloire et des souvenirs, des rêves de glace, de neige, de blanc comme des pages blanches bonnes à être gribouiller, et l'on pourrait produire des tonnes de brouillons, des tonnes d'essais. On savait de toute manière que les icebergs recouvriraient tout et nous permettraient de tout recommencer.
En marchant sur la 2nde Avenue, la vie semblait s'être fait la malle mais les yeux du pingouin s'illuminaient, et il pouvait presque entendre des chevaux taper des sabots (l'hallucination des premiers hommes).

2.14 LE PINGOUIN (Alaska Highway)




Il y a le calme plat. Et derrière le calme plat, la terre prend de l'altitude, elle gonfle, elle ouvre sa gueule et elle se met à parler. Dans le nord de la Colombie britannique, c'est impressionnant comme ça grouille de voix, ça papote toute la nuit, le pingouin n'a pas la conscience tranquille. Il y a ces grand piafs noirs qui murmurent des formules magiques, il y a des grognements de monstres à poil dans les bois, que dis-je, dans les grands espaces. Il y a de l'écho. Dans les grands espaces verts, on entend l'eau qui s'échappe des icebergs, puis on entend les icebergs gémir en perdant tout leur sang (un iceberg n'aime pas le soleil, surtout quand il est brûlant). Le pingouin est dans ce fameux bus de l'armée désaffecté. La petite Acadienne sort les chiens. Son « chum » albertain sort pisser un coup. Ils se sont arrêtés pour la nuit, histoire de prendre une pause, histoire de mettre un peu de côté le Snake. Il y a un pont qui enjambe une rivière et une clairière à côté.
Au moins personne ne les emmerdera.

Le pingouin fait un tour sur lui-même. Il n'y a pas un bruit. C'est calme comme la mort.

A l'entrée du pont, il y a un panneau qui raconte qu'ici, à cet endroit même, des hommes se sont rencontrés. Qu'ici, à cet point, la route s'est jointe, que désormais (comme c'est merveilleux!) l'Alaska Highway était achevée, que (enfin!) les Ricains pouvaient amener plein plein plein de munitions à l'autre bout pour bouter les Jap'. Sur le panneau, on souligne que c'est une prouesse de fou: couper 10km d'arbre par jour, c'est un véritable boulot de bucherons! Il y avait une photo de l'équipe: des Amérindiens, des Chinois, des gros barbus, des maigres à lunettes, beaucoup de blacks aux dents blanches.
Le pingouin se rappelle de ce vieux qui l'avait pris avant le bus de l'armée. C'était un vieux briscard, un réparateur de BIG MACHINES qui font du bruit de la vapeur, un gars qui bidouille tout ce qu'il y a à bidouiller, et c'était très cher payé. Il a eu droit à tout un discours sur sa jeunesse, à l'époque où il travaillait sur la route, pour la route, il a créé une partie de l'âme du Snake. Il savait encore les moindres défauts de la route, les difficultés qui lui ont causé plusieurs rupture de fatigue, des cessions de la colonne vertébrale, des arrachages de bras, des engueulades entre les autochtones et les blacks. ET LE PLUS DUR, TU SAIS L'PINGOUIN, C'EST QUAND VIENT LA NUIT PARCE QUE TU SAIS JAMAIS QUAND ELLE FINIT, OU QUAND ELLE COMMENCE, CE PAYS EST FUCKE, CETTE ROUTE EST FUCKEE!

Le pingouin revint près du bus. L'Acadienne et son chum sont avec les chiens à l'intérieur. Il se met à poser sa tente (car un pingouin demeure dans un cocon quand il ferme les yeux).
Peu à peu, des sons se font entendre. D'abord ça semble grouiller mais ce n'est que le vent qui fait tout bouger, un tout petit peu. Puis un peu plus, et un peu plus. Le soleil es toujours en suspens mais il a du mal à s'accrocher. Il y a des gros piafs noirs qui planent, il entend l'air frotter sur leurs ailes, ce sont des avions noirs. Des brames qui couvrent le courant de la rivière. Des gémissements de bêtes qui crissent dans les arbres. Ça grouille comme dans une fourmilière et le pingouin reste calfeutrer dans sa tente.
Le pingouin dort comme un cochon d'Inde, comme un iceberg momifié.

vendredi 6 avril 2012

3.3 Jacques Poulain




LE VIEIL HOMME AU BORD DU MISSISSIPPI

Non loin de Davenport, sur la 80, ils respirèrent tout à coup une odeur spéciale. La Grande Sauterelle, qui était à l'arrière où elle écrivait une lettre à sa mère, se leva et vint s'asseoir à l'avant. Jack humait l'air et regardait de chaque côté de la route.
C'était une odeur humide et accablante, épaisse et comme un peu vaseuse, semblable à ce que l'ont pouvait sentir dans un sous-bois marécageux, un mélange d'eau, de terre et de plantes, une odeur boueuse et de mousse vieillie.
En arrivant à un pont, ils virent un cours d'eau très large avec des eaux très jaunes et lourdes; ils comprirent tous les deux et sans avoir besoin de se dire un mot que c'était le Mississippi, le Père des Eaux, le fleuve qui séparait l'Amérique en deux et qui reliait le Nord et le Sud, le grand fleuve de Louis Jolliet et du père Marquette, le fleuve sacré des Indiens, le fleuve des esclaves noirs et du coton, le fleuve de Mark Twain et de Faulkner, du jazz et des bayous, le fleuve mythique et légendaire dont on disait qu'il se confondait avec l'âme de l'Amérique.
De l'autre côté du pont, Jack prit une route menant à Davenport et, une fois dans cette ville, il dirigea le minibus vers les quais; ils aboutirent à un vaste terrain où se trouvaient un parc de stationnement et une gare maritime.
Devant eux s'étendait un quai où flânaient quelques clochards et un vieil homme qui regardait le fleuve; le vieux n'avait rien de spécial si ce n'est que sa peau brune et toute ridée lui donnait l'air très âge. Ils descendirent du Volks pour aller saluer le Mississippi. Il faisait chaud et humide et le fleuve roulait paresseusement ses eaux boueuses vers le Sud. Au bout d'un moment, Jack s'approcha du vieil homme et échangea quelques mots avec lui. Plus tard, lorsqu'ils eurent repris la route, il essaya d'expliquer quelque chose à la fille; c'était difficile de trouver les mots justes et il hésitait.
 - Chaque fois que... c'est toujours la même chose, dit-il, chaque fois que je vois un vieil homme au bord d'une rivière ou d'un fleuve, il faut que j'aille lui parler -c'est plus fort que moi.

La route qu'ils suivaient maintenant n'était plus la 80, c'était la 61 et elle n'allait pas vers l'ouest, elle allait droit au sud. C'était la route qu'ils allaient suivre jusqu'à Saint-Louis.
- Longtemps je me suis demandé pourquoi je faisais ça, poursuivit Jack. Je ne comprenais pas. Je voyais un vieil homme au bord de l'eau et, chaque fois, quelque chose me poussait à aller lui parler. Mais aujourd'hui, je pense que j'ai trouvé la raison.
Il se tut; il laissa la silence se prolonger et, finalement, la fille demanda quelle était cette raison.
- Maintenant que je veux le dire, ça me paraît complètement ridicule, dit-il.
- Ça ne fait rien, dit-elle.
- Voilà, dit-il. Ce que les vieux contemplent, quand ils rêvent au bord d'un cours d'eau, c'est leur propre mort; je suis maintenant assez vieux pour le savoir. Et moi, je m'approche d'eux parce qu'au fond de moi, il y a une ou deux questions que je voudrais leur poser. Des questions que je me suis pose depuis longtemps. Je voudrais qu'ils me disent ce qu'ils aperçoivent de l'autre côté et s'ils ont trouvé comment on fait pour traverser. Voilà, c'est tout.



Jacques Poulain, VOLKSWAGEN BLUES


(Comme une envie de chier, un gars décide de retrouver son frère. Il lui envoyait pleins de cartes postales il y a quelques années, la dernière vient de Gaspé, au Québec. Alors il y va, il prend une autostopeuse sur la route, et se rend compte que son frère s'est barré aux USA. Avec la fille, ils parcourent le continent américain dans un combi Volkswagen, un peu comme les premiers explorateurs Européens. Un bon mélange d'histoire, de trip, d'introspection. Le gars s'appelle quand même Jacques, comme Kerouac, Cartier, London... c'est plutôt cool de s'appeler Jack en fin de compte!)

jeudi 5 avril 2012

2.13 LE PINGOUIN (Méditations)




Dans un fourgon blindé blindé, blindé comme une tortue, une caisse qui sonne ses dernières heures, un vieux tacot qui TEUF TEUF il y avait un vieux Québécois dedans. Et il gardait les deux mains sur le volant car il fallait garder le cap ET LE CAP, MOI, JE SAIS LE GARDER qu'il disait. Il avait embarqué le pingouin pour rester les yeux ouverts assez longtemps et rentrer chez lui, parce que le Grand Nord touchait à sa fin, parce que le soleil se faisait la malle lui aussi. Au Yukon, les éléments se mettent à couler chaque saison: la neige au printemps, les couleurs en automne.
Il fallait lui raconter des histoires mais des histoires, le pingouin, il n'en connaissait pas. Ou bien elles étaient toutes foutues, sans grand suspens, sans intrigue extraordinaire. MAIS DES HISTOIRES, TU DOIS BIEN EN VIVRE 'STIE QUAND TU TRIPPES COMME UN PINGOUIN!
Mais le pingouin n'a pas d'histoire à raconter. Il y a des sensations, le battement continu du cœur qui BOUNCE BOUNCE, des yeux qui voient et qui se marrent et qui s'étiolent pour passer à autre chose, des bouches pour parler et blablater autant qu'on puisse blablater sans se prendre au sérieux, car SE PRENDRE AU SERIEUX, C'EST DEVENIR FOU! (dixit le Chux, un autre pingouin qui trip en acide d'ostie!). Dans les histoires, les détails flous prennent de l'importance, l'action est au cœur comme un cratère, une éruption, un HIROSHIMA de sérieusitée. Il n'y pas plus complexe comme une intrigue, telles que les histoires d'amour qui n'en finissent pas et détruisent, et rendent fou les protagonistes.
Le pingouin n'a rien à raconter comme histoire. Le Snake, c'est de la méditation. La route, c'est de la méditation. Les Grands Corbeaux qui gueulent, c'est de la médiation. Et le vieux Québécois, qui tenait encore plus fort le volant dans ses mains, l'écoutait la bouche ouverte. Un fil de bave.
Jack Kerouac s'en branlait pas mal de l'histoire, et ses poèmes tiennent pas mal des mantras, le Snake l'avait pris à la gorge alors, forcément, il ne pouvait plus qu'à cracher tout ce qu'il lui disait.
Le vieux Québécois regardait la route comme l'horizon, mais C'EST L'HORIZON QUI DEFILE SOUS MES PIEDS?! L'espace se décontracte, il a trop été estomaqué par la sérieusitée.

Ils ont roulé plusieurs heures sur l'Alaska Higway.

'STIE! FAUT QU'ON S'ARRÊTE AUX LIARD HOTSPRINGS! C'est un trou d'eau chaude qui sort de la terre, au milieu des arbres. Liard Hotsprings, son nom fait penser à une mascarade, à un mensonge. Sans doute que les premiers propos de cette découverte n'avaient pas été pris au sérieux, que ce n'était que les dires d'un menteur. Liard Hotsprings.
Le pingouin a vu toute cette eau sortir de la terre. Elle fait des bulles, elle bouge, elle parle, elle coule vite vite pour ne plus s'arrêter, et se transformer quelque part en édifice d'icebergs en rut.

Le pingouin et le vieux Québécois ont le cul trempé, les pieds qui papotent dans l'eau fumante qui ronronne. Ils regardent l'eau qui monte monte en vapeur, comme un iceberg en fusion.

jeudi 29 mars 2012

3.3 Robert Service



The Men that Don't Fit In

There's a race of men that don't fit in,
A race that can't stay still;
So they break the hearts of kith and kin,
And they roam the world at will.
They range the field and they rove the flood,
And the climb the mountain's crest;
Theirs is the curse of the gipsy blood,
And they don't know how to rest.

If they just went straight they might go far;
They are strong and brave and true;
But they're always tired of the things that are,
And they want the strange and new.
They say: "Could I find my proper groove,
What a deep mark I ould make!"
So they chop and change, and each fresh move
Is only a fresh mistake.

And each forgets, as he strips and runs,
With a brilliant, fitful pace,
It's the steady, quiet, plodding ones
Who win in the lifelong race.
And each forgets that his youth has fled,
Forgets that his prime is past,
Till he stands one day with a hope that's dead
In the glare of the truth at last.

He has failed, he has failed; he has missed his chance;
He has just done things by half.
Life's been a jolly good joke on him,
And now is the time to laugh.
Ha, ha! He is one of the Legion lost;
He was never meant to win;
He's a rolling stone, and it's bred in the bone;
He's a man who don't fit in.


Robert Service, tiré de Songs of a sourdough, 1913

(Ce gars était un banquier, transféré à Dawson City avec la ruée vers l'or et tout et tout. Un p'tit gars sage qui a écrit des poèmes en observant toute la cohue folle de l'or. Après la folie des hommes pour l'or, il est parti vers une autre folie des hommes, celle de la 1ere guerre mondiale en France, dans les tranchées comme soignant. Et là, il a pondu un autre recueil de poèmes qui, à l'image de Dalton Trumbo, deviendra un véritable manifeste de la paix...
Voilà voilà pour les présentations...)


jeudi 22 mars 2012

2.12 LE PINGOUIN (Eagle Plain)




EAGLE PLAIN.
C'est une île d'hommes au milieu de la Terre, alors à première vue on peut bien se demander ce qu'ils foutent là. Le Vide réside à EAGLE PLAIN, alors quand on crie, c'est l'écho qui répond pond pond.
EAGLE PLAIN, c'est là où Mick s'arrête pour grailler. Le pingouin sort aussi parce que grailler c'est contagieux et se transmet d'estomac en estomac. Il suffit qu'un imbécile crie J'AI LA DALLE pour que les autres aient la dalle aussi. Un peu comme tout, en fin de compte. Il y a beaucoup de vent. Sur le panneau d'entrée, il est inscrit EAGLE PLAIN 12 PEOPLE LIVING HERE. 12 gars ont planté leur drapeau sur cette colline couverte d'arbres piquants.
A l'intérieur de la bâtisse principale, c'est de la moquette, c'est tout cosy cosy, il n'y a que le son lointain d'un bout de civilisation qui résonne. A la salle d'entrée, il y a 4 portes qui mènent chacune dans une aile. A droite d'abord, c'est celle des chiottes (là où Mick accoure en ouvrant sa braguette, en fait il avait envie de chier), dedans il n'y a que l'écho des hommes qui chient. La deuxième, elle donne sur le bar. Ambiance sombre, il y a des loupiottes en fin de vie, des silhouettes qui ont l'air d'être accoudées au comptoir. L'autre porte, ça donne sur le restaurant, et apparemment c'est l'heure de la bouffe parce qu'il y a plein de monde.
Le gros nez collé au bar, c'est Stan. C'est le gars qui dit s'il y a de la job ou pas. C'est le gars qui boit des verres gratuitement. C'est le gars qui décide, qui parle, qui rote, qui envoie bouler le pingouin sans même se demander ce qu'il avait dans le ventre. Il y a le vieille, là, avec sa bouche carrée, son menton carré, son nez carré, tout la gueule au carré. Même pas foutue d'écarteler un sourire. Mike l'avait prévenu, c'est sa femme avec la robe à fleurs, des fleurs qui ne poussent même pas par ici. Elle vend des t-shirts, des boussoles, des spray anti-MOUSQUITOSSS. C'EST PAS LES OURS QU'IL FAUT CRAINDRE, PINGOUIN, MAIS LES MOUSQUITOSSS! ILS TE BOUFFERAINT EN MOINS DE DEUX, SURTOUT LES PIAFS COMME TOI (c'était Mike en conduisant quelques heures plutôt qui disait ça, le pingouin s'en souvient maintenant alors il a sorti des papiiir-money pour s'en procurer un). Mike invite le piaf à une table. Il faut grailler.   Le repas est dégueulasse et l'iceberg de son verre était fondu.

samedi 3 mars 2012

3.2 John Steinbeck

Les voitures des émigrants surgissaient en rampant des chemins de traverse, regagnaient l'autostrade et reprenaient la grande voie des migrations, la route de l'Ouest. A l'aube, elles détalaient, pareilles à des punaises; dès la tombée du jour, surprises pas l'obscurité, elles se rassemblaient et venaient grouiller autour d'un abri ou d'un point d'eau. Et parce qu'il se sentaient perdus et désemparés, parce qu'ils venaient tous d'un coin où régnaient la désolation et les soucis, où ils avaient subis l'humiliation de la défaite, et qu'ils s'en allaient tous vers un pays nouveau et mystérieux, instinctivement, les émigrants se groupaient, se parlaient, partageaient leur vie, leur nourriture et tout ce qu'ils attendaient de la terre nouvelle... Quand par exemple une famille campait près d'une source, il arrivait qu'une autre famille vînt s'y installer, à cause de la source ou pas besoin de compagnie, puis une troisième, parce que les deux premières avaient étrenné le coin et l'avaient jugé favorable. Et à la tombée du jour, c'était peut-être vingt familles et vingt voitures qui finissaient pas se trouver rassemblées là.
Vers le soi, il se passait une chose étrange: les vingt familles ne formaient plus qu'une seule famille, les enfants devenaient les enfants de tous. Ainsi partagée, la perte du foyer se faisait moins sensible e le paradis de l'Ouest devenait un grand rêve commun. Et il advenait que la maladie d'un enfant remplît de désespoir vingt famille, cent personnes; qu'une naissance, là sous la tente, tint cent personnes figées toute la nuit dans une crainte respectueuse et qu'au matin la délivrance mît la joie au coeur de cent personnes. On voyait une famille, la veille encore toute apeurée et désemparée, défaire ses paquets à la recherche d'un cadeau pour le nouveau-né. Le soir, assis autour des feux, les vingt n'étaient plus qu'une seule tribu. Tous se soudaient peu à peu en groupes, pour le campement, pour la veillée, pour la nuit. Quelqu'un tirait d'une couverture une guitare, l'accordait et les chansons que tous connaissaient, montaient dans la nuit. Les hommes chantaient et les femmes fredonnaient l'air en sourdine.


Chaque soir un monde se créait, un monde complet, meublé d'amitiés affirmées, d'inimitiés subitement établies, un monde complet avec ses vantards, ses lâches, avec ses hommes calmes, ses hommes modestes et bons. Chaque soir s'établissaient les relations qui font un monde et chaque matin le monde se disloquait à la façon d'un cirque ambulant.


John Steinbeck, extrait de les raisins de la colère, chapitre XVII

(C'est l'histoire d'une famille de payzousses dans les années 30, avec les conséquences de la révolution agricole capitaliste folle folle folle. Alors ils décident de se barrer en Californie, avec tous les rêves d'une vie meilleure... et c'est foutrement bon!!)


vendredi 2 mars 2012

2.11 LE PINGOUIN (pensées de Pingouin)




J'ai vu les grands silex qui illuminent tout à la ronde
J'ai vu les tours de Pise qui se font la malle et qui disent
Qu'en haut la vue est un peu plus belle
Même
Que les oiseaux font des grimaces, les Grands Corbeaux
Les mystères aux grandes échasses.
Les icebergs sont perchés dans les montagnes
Pour ne pas être reconnus
Pour rester fiers et ne contempler que
L'intérieur des POCKETS.
Je me suis demandé deux milles neuf
Cent quatre-vingt dix neuf fois
Ce que les icebergs pensent
Ce que les icebergs disent
Ce que les icebergs font
Et ils ne sont pas foutus de répondre.
J'ai vu les grands édifices de glace
Des tonnes de fontes, des milliards de litres
D'eau déferler à dos,

J'ai pataugé dans les rapides
Sans garder la substance
Sans retenir le surplus, le nécessaire.

Héééého hayakiriii!
C'est l'écho qui blablate
à ma place.

Et puis merde!
A coup sûr je patauge dans les rapides
Dans leur substance glacée
Dans les dépôts d'icebergs qui s'amassent
A coup sûr j'ai pris un peu plus de leur âme
(et un pingouin a besoin d'âme)

lundi 27 février 2012

2.11 LE PINGOUIN (Hallucinations de Snake)




C'est tout proche du BIG BANG, c'est closely to tout cette sensation des grands espaces. Ça passe par les yeux et ça entre par tous les boyaux. Ça inonde tout le corps, tout le transit des cellules, on trouve sur pellicule photographique, figé à vie, comme une soucoupe. La Snake se débarrasse du paysage, Il s'étend, Il détonne. Il s'allonge et c'est le BIG BANG.
D'abord c'est une lente agonie dans un perpétuel virage qui tourne tourne comme un gyrophare. Une boule pleine de pattes et d'épine traverse la route (un porc-épic, une beauté crachée du Snake). On perd la tête (le pingouin a le tournis, il va dégueuler, dépecer le petit chat coincé au fond de sa gorge, libérer les échos des derniers repas) mais ce n'est pas le moment de mettre à jeun. C'est pas le moment, puis les arbres nous encerclent. Ils sont partout partout, sur le bord du Snake ils matent l'engin dégueu (le Monster Truc, la folle machin machine, le tas de ferraille), ils se penchent pour te voir chialer, s'assurer que si tu ne chiales pas tu devrais chialer quand même, ils feront tout pour te voir chialer. Entrer dedans n'est pas une partie de plaisir, même Mick l'a dit (il a dit au Pingouin que la route est dangereuse, des fois elle se fait la malle comme le reste). IL FAUT ATTEINDRE LE CHECK-POINT, A EAGLE PLAIN, ET TU SAIS CE QUI Y A DE PLUS MARRANT DANS TOUT CA? C'EST QU'Y A PAS D'AIGLE A EAGLE PLAIN!

TOMBSTONE PARADISE. C'est quelques kilos d'image en tonne plein la tête. D'abord il y a ce sentiment d'infiniment géant. Les montagnes sont rendues comme des gardes, des tours de guet où le Snake se faufile tranquillement entre leurs pieds. Même Lui fait profile bas, il ne demande rien, il s'éclipse, il ferme la gueule. Le MONSTER TRUC s'arrête, il faut prendre une pause pipi-koffy-clope sauf que cette fois-là il n'y avait pas de koffy et le pingouin ne fume pas. OH CA NON! J'AI LE BEC QUI TOUSSE! Le pingouin pisse. Il pisse devant TOMBSTONE PARADISE;
C'est bon de pisser dans le Vrai. Et sa pisse s'immisce dans les rainures de la terre, entre les herbes-mousses, creuse un micro-canyon et s'improvise petit ruisseau. Elle coule-court tout en bas et rejoint un torrent qui torrente dur dur dans le creux de la vallée. Elle se transforme en iceberg luisant.

On rembarque dans le Monster Truc, elle fait un peu de bruit bizarre, ça ronronne sec dans la carrosserie, le pingouin tremble beaucoup mais ça n'enlève rien à la beauté du Vrai. Le Snake se montre docile pour une fois.
Il y a des caribous qui pataugent dans les torrents. La pierre vire du blanc au rouge, puis au noir, puis au rouge (encore). L'eau vire du blanc au rouge, puis revient au blanc pour se transcender de rouge ensuite. Un lynx traverse le Snake, il n'a pas le temps de s'arrêter car le bruit lui a bousillé un tympan. Maman caribou planque Bébé caribou dans les grandes herbes-mousses et ça ne se voit pas. Mike stoppe l'usine de son Truc et il contemple avec le Pingouin toute la tranquillité du moment. Une putain de tranquillité. La tranquillité du Vrai.
Assez vu. On repart.
On repart dans les allures du Snake qui se crevasse, qui s'illumine, qui s'étiole parfois pour ne devenir plus qu'un indice, un bout d'indice, un semblant d'indice, une vague trace d'identité, une vague trace de présence d'humanité (une ligne jaune coule dans la rivière qui longe le Snake).

mercredi 22 février 2012

2.10 LE PINGOUIN


INVENTAIRE

Un canif multi service (grailler quand il faut grailler, ouvrir les boîtes à grailler, couper la viande à grailler, attraper les trucs à grailler)
Des cailloux en écorce d'arbre (la superstition vraie)
Un sac cuir de la faucille croisé sur une route en Ukraine
Une paire de godasses godillos
Un paquet d'allumettes imperméables pour cibler les grandes chaleurs
Un serre-tête pour ne pas la perdre, surtout pas, pour ne pas la perdre
Du fil à coudre
Des hameçons de guerrier
Des calbutes, des calbutes, des calbutes!
Des fermetures éclairs pour fermer sa gueule et ne pas laisser couler les eaux troubles
Une pellicule photographique
Du PQ sans politique
Du fil à coudre (couleur autre)



jeudi 16 février 2012

3.1 Kerouac

Quel est le sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez rapetisser dans la plaine jusqu'à, finalement, disparaître? C'est le monde trop vaste qui nous pèse et c'est l'adieu. Pourtant nous allons tête baissées au-devant d'une nouvelle et folle aventure sous le ciel.

Extrait du chapitre VII Sur la route, Jack Kerouac.

(C'est l'histoire d'un gars qui s'embarque un peu partout et qui, en fin de compte, rentre chez sa mère pour se reposer et pondre un pavé one-shot)





mardi 7 février 2012

2.9 LE PINGOUIN (Réflexion d'avant les starting blocks)

15 euros= 19,6888888888 US dollars à l'infini=12,4449 livres sterling= 19,6082 US australia= 1507,84 yen= 965.695 roupies indiens= 18.0948 France suisses= 9,456.42 pesos du chili= 113.642 couronnes croates= 22,919.14 dinars irakiens= 22,919.14 zloty polonais= 0.0114224 once d'or!!!!!
pour une paire de godasses.
C'est tout. Rien que ça. Rien qu'une paire de godasse pour s'en aller s'éclipser au pays des icebergs. Pas celle de l'humain.

Dans un aéroplane blindé, le pingouin participe, aussi bien peu que mal. Il devient son aéroplane blindé, même que c'est mieux qu'au ciné pour se trouver dans un rêve, un conte de fée, et dans le fond c'est un peu comme s'il avait toujours eu envie. Se sentir dans la vie.
Le pingouin se sent dans la vie. C'est un sentiment de non limite, qu'il est bien obligé de vivre en direct live en français, sans boussole, sans instrument de navigation parce qu'il l'intéresse, c'est de découvrir une terre sur laquelle il pensait poser pied mais qui, en fin de compte, est toute nouvelle. L'autre, 'taleur, lui a dit qu'il était comme Jacques Cartier, et il avait compris Jacques Kerouac, ou Jacques London, on s'en fout. Le tout est dans le Jacques! Il est un J, un J comme Jacques ou Jérémy on s'en fout, le principal est qu'il puisse participer au mouvement, à ce mouvement de pensée qui ne cesse de bouger. Elle bouge elle bouge elle bouge, elle se nourrit de tout ce qui l'entoure. Ça peut être de la musique ou d'un accent différent du mien. Du mieux (j'ai failli faire l'erreur typographique qui se dit être français de France).

Le pingouin est un No Man's Land. Rien d'autre. Alors qu'importe du NUMBER ONE qu'il est obligé de sortir de sa POCKET. C'est toujours la même POCKET. Il a des photos de la reine d'Angleterre, il en avait aussi de Saint-Exupéry avec des avions et des histoires de garçons blonds, JE M'EN FOUS! Le pingouin est un francophone humain. Il blablatte comme il peut, avec les mains d'un Italien aussi bourré que sa tour de Pise. 

dimanche 5 février 2012

2.8 Le chant du PINGOUIN


Des godillos quand j'me lève
Des godillos pour passer sous la douche
Pour prendre mon thé avec mes biscuits
Pour savourer un bout de ciel par la fenêtre
Des godillos qui pourrissent à l'entrée
Des godillos entartrés pleins de calcium
Avec des traces du bitume de la route
Avec des kilomètres de vie en rose

Moi j'ne porte qu'une paire de godasses
Et j'vais loin loin loin
J'ne porte qu'une paire de godasses
Et j'vais loin loin loin

Des godillos qui tirent la langue
Comme des gadjos fous fous fous
Des godillos qui savent jouer de la guitare
Sans les mains et sans guitare
Des godillos pour la nuit insomniaques
Sans les yeux et sans paupière
Des godillos comme des cochons d'Inde
Sans rêve dans les rêves.

Moi j'ne porte qu'une paire de godasses
Et j'vais loin loin loin
Car moi j'ne porte qu'une paire de godasses
Qui me portent loin loin loin

Des godillos avec une bouche épaisse
Ça parle beaucoup beaucoup trop
Des godillos pleines de dents et de langues
« Ferme ta gueule un peu! »
Des godillos qui râlent et s'exclament
La moindre côte fait avancer
Des godillos qui hurlent à la prochaine conquête
Un nouvel iceberg à découvrir encore

J'ne porte qu'une paire de godasses
Et j'irai loin loin loin
Car une paire de godasses
Ça porte loin loin loin


Chanson du Pingouin, chanté sur le dos d'une cuillère au Saskatchewan.

jeudi 26 janvier 2012

1.25 Photo souvenir

JE? sur pellicule photographique reste figé comme un édifice de glace.

mercredi 18 janvier 2012

2.7 LE PINGOUIN (Frenchy-Cosy)




FRENCHY-COSY est une ville bossue, comme une corne érodée avec le temps parce qu'ici il y a quand même de l'Histoire. Juste ce qu'il faut pour qu'il y ait un peu d'érosion, pour que les passants qui passent regardent parfois derrière eux en respirant un peu. FRENCHY-COSY, de loin, n'a pas vraiment de différence avec tout le reste. C'est une ville bossue, d'accord, mais elle ne révèle pas grand chose d'intéressant. Il y a des icebergs en béton qui poussent et des étendues à leurs pieds, comme des flaques d'eau. Seulement il y a ce parfum du passé, des gouttelettes de l'Europe et c'est là que se situe tout le repère du pingouin. Le singe sherpa est toujours là, un peu épuisé par la route mais toujours là. Ils se pavane, ses yeux sont moins gros qu'à NEW-PLASTIC-CITY. Il voit plus loin. TU CROIS QU'ON VA OU COMME CA?
Ils s'enfoncent dans la terre et s'engouffrent dans un lézard mécanique géant. TU CROIS QUE CE SONT LES GENS QUI ONT CREE CA? Il hurle du bruit. Ils se font recrachés à BERRI-UQAM. C'est pleins de cubes, de lignes droites, de parallélépipèdes. Saint-Denis a ses lights qui lightent très très forts, et ça pullulent de passants. C'est même incessant. Ça parle le Frenchy frenchy comme à la maison, c'est plein de pingouins qui tripent leur vie. Saint-Denis devient alors un iceberg horizontal, un iceberg de congélateur, un truc déjà-vu, un plat préparé et les pingouins tripent dur dur parce que c'est ailleurs « comme à la maison ». Le pingouin marche comme les autres pingouins, il cherche un coin pour se poser et penser. Le singe sherpa garde les yeux plissés.
Il y a cette fille, accoudée à la table d'une terrasse. On ne sait pas ce qu'elle fait, si elle boit ou si elle mange, ou si elle attend un chum. Ou même si elle a mangé et digère, si elle pense à ce qu'elle va faire, à ce qu'elle a fait, à toutes les erreurs qu'elle a faites, à toutes celles qu'elles fera. On ne saura jamais. Elle est assise à cette table et rien que ça, ça intrigue le pingouin (le singe sherpa n'a rien vu, il suit). Il se pointe.
« Je déteste les hommes! Les hommes sont de vrais hosties de caves baveux! Mon père nous a lâché, moi et ma mère, le jour même où je suis née. Et tu sais quoi? Ce sont mes grand-parents qui se sont occupés de moi. Les hommes ne sont pas foutus d'assumer. Moi, je ne veux pas d'homme dans ma vie. Je ne peux pas leur faire confiance. Il n'y a que le cul et c'est fini. Moi, je ne veux pas d'homme pour faire un enfant, car faire un enfant est tout ce que je veux faire dans la vie. Un enfant, seule, sans homme. Si si, c'est possible, j'ai lu dans les magazines des histoires. Des histoires de femmes qui font des bébés toutes seules. Sans l'aide de qui que ce soit. Comme ça, pas d'histoire d'abandon, car moi, je n'abandonnerai jamais mon enfant. Tu connais, toi, le in-vitro? »
Et le pingouin pense. Le singe aussi mais moins (fatigué). Il pense à son père. Il ne se rappelle plus de sa tête. De ses mains. De sa taille. Il était grand, c'est sûr mais grand comment? Il pense et se demande s'il n'était pas In vitro aussi.

Un pingouin qui tripe a forcément une raison. Un pingouin qui se barre comme ça pour le simple plaisir de se barrer couve quelque chose. Se déchirer de sa terre, comme se déchirer des lambeaux de peau, puis les couvrir de couleurs, de belles couleurs, des couleurs éclatantes qui éclatent et exultent tous les yeux. Ça en jette grave. Ça en claque une bonne à la vue des passants, ça provoque des flashs, des illuminations astrales. Se déchirer et ne plus deviner ses racines: les regarder, puis les voir, puis les contempler les yeux plisser pour ensuite s'adonner à des extravagances de folies des grands espaces, de folies de « pluie d'avion » pour atterrir et ne plus les connaître. Arrivé comme un iceberg qui couvre tout tout tout, les ruines sont dessous et on ne les voit plus, elles s'immobilisent, craquent un peu avec le froid, le temps, le poids. Et comme l'Arctique, on se retrouve la face toute hachée, des couloirs de fissures et une partie se barre sans qu'on ne puisse faire quoi que ce soit. Le pingouin est un iceberg qui aggrave son cas.
Le singe sherpa souffle un peu, il a posé tous les BIG BAGS par terre. Il se sent plus léger.
Les pingouins qui tripent dur dur ici, ils s'y sont échoués car ici est comme là-bas. FRENCHY-COSY en est la réplique. POURQUOI créer DES CLONES? Le cordon ombilicale est une gaine en plastique caoutchouteux, et ça se coupe difficilement avec des ciseaux.
Le singe sherpa ferme les yeux sur sa chaise. Il pourrait dormir si il n'y avait pas autant de vent. Il a un peu froid.
Le pingouin se demande s'il n'était pas In Vitro. Il n'a pas de nombril.
La fille continuait de parler. Mais on s'en fout. La fille parle parle sans ponctuation, et c'est très difficile d'en placer une. Au début, on l'aurait cru muette, abrutie, mais en réalité elle parle beaucoup. Elle rigole souvent aussi. Elle rigole et postillonne pas mal avec la langue qui lui sort entre les dents. Le pingouin baisse les yeux de temps en temps.
Elle a des jambes poilues. Sûrement un peu de son père qui lui tenait toujours la jambe. C'est un truc qui colle au corps tout le temps, les racines.

mardi 10 janvier 2012

2.6 LE PINGOUIN (partie 5)



« C'est un gros bus de l'armée, avec toutes ces couleurs macabres et une déco intérieure vide de tout sentiment. Il a fallu changer tout ça, alors on a tout retiré, les sièges et la vieille tapisserie. Regarde comment c'était, on en voit encore un peu sur les bords, parce que tu sais, c'est vraiment difficile de retirer cette crisse de marde. Plus personne n'en voulait alors tu parles de comment qu'ils le bradaient, ce bus. Alors avec Mick on n'a pas réfléchi long, on l'a pris. Ça roule encore, c'est le principal, hé? Mick est fort dans la mécanique. C'est lui qui a tout revu. C'était pas beau au début tu aurais dû voir ça mais une fois que Mick passe par là, c'est tout clean. Qu'est ce qu'on était content. Le lendemain, on a décidé de crisser not' camp. Mick sait conduire des gros engins, et dans le nord, on a besoin de gens qui conduisent des gros engins. Moi je fais dans le tourisme et c'est aussi pleins de touristes. Je parle français, anglais, italien, un peu arabe mais il faut que je m'échauffe. Comme le bus, il a besoin de chauffer avant de partir. Je suis Acadienne. Mick est de l'Alberta alors il n'a qu'une seule langue dans sa poche, ça lui suffit pour la mécanique et les gros engins. Et toi, t'es d'où? »
Le pingouin ne répond pas. Quant au singe sherpa, c'est à se demander s'il était là, mais c'est lui qui répondait. NEW-PLASTIC-CITY, c'était sa réponse, MAIS LE PINGOUIN ON NE SAIT PAS. Disons qu'il était d'ici, au moment présent, dans un ancien bus de l'armée du Canada, aux côtés d'une Acadienne bien bavarde et d'un Albertain monoglotte.
Ils ont été pris dans un petit village au milieu des Rocky Mountains, FORT-NELSON, là où les édifices poussent comme de la glace, des édifices de pierres gelées. Ce bus, ils l'avaient croisés maintes fois mais JAMAIS il ne s'était arrêté. La première fois, c'était à DAWSON-CREEK-CREEP, Mile 0 de l'Alaska highway. Une petite ville pleine de maux, il paraît que les jeunes sont déjà vieux quand ils naissent du ventre de leur mère. Il paraît qu'ils errent comme des fantômes et qu'ils tournent en rond jusqu'à l'infini. C'est le type du moment qui leur avait dit ça, alors le pingouin ne s'est pas arrêté car la peur l'habite dans ces moments-là. Des villes sans âmes. Débordantes de vide. C'est peut-être ça « vivre au mile 0 ». Un lieu sans l'être. Sans le devenir.
C'était la première apparition du bus, là, devant eux. Sur la route. Un vieux tas rouillé qui crissent à chaque tour de pneu. IL AVANCE OU IL RECULE? (ça, c'est le singe sherpa qui chiale). Puis ils se sont arrêté à FORT-SAINT-JOHN-HOLLY-HOLE. Un paradis sur terre, au bord d'une rivière. Un pont l'enjambe comme une femme. Le pingouin a peur des ours. Ils monte dans les arbres. Il est perché. Il ne touche plus le sol.
Le lendemain, un Vieux de la route, un Vieux qui porte l'asphalte sur sa peau les a pris. Un pionnier avec un grand P, comme pour pochtron tellement que son pif savait stocker de la bouteille. Il racontait qu'il a construit l'Alaska Highway de ses propres mains et qu'il connaissait toutes ses courbes, comme les courbes des filles sur les magazines. JE REPARE LES GROSSES MACHINES ET JE PARS EN REPARER UNE, A FORT-NELSON. Et le reste du temps, il oublie qu'il a construit la route pour l'emmener là où il répare les grosses machines.
C'était la deuxième apparition du bus, là, devant eux, encore. Un tas de fer oxydé par le temps, par les kilomètres de routes gravelées. IL VA PAS S'ARRÊTER QUAND MÊME?! (encore le singe sherpa qui, d'ailleurs, n'est plus sherpa le temps passé dans la caisse, il devient commentateur). Le bus tangue. On dirait qu'il va se casser la gueule. Le pingouin met pied à terre à FORT-NELSON. Le singe sherpa pose la tente. Il y a des montagnes vertes couvertes de glace autour. Les icebergs veillent encore...
Le lendemain, il a fallu que le pingouin marche un peu. Le singe sherpa marchait sur ses pas, dans son ombre. Une caisse passe. Les caisse passent à côté des passants. Ça fait du vent. Ils ont marché avec des pieds en panne d'essence, à marcher sans avancer parce qu'on n'a plus l'impression de pouvoir avancer. C'est un effet du Snake qui s'en vient, avec tout ce qui impliquer le temps et l'espace. Les caisses se succèdent et rien ne se passe.
C'était la dernière fois que le bus tournait devant eux. Il a continué son chemin mais il s'est arrêté très très loin. TU VOIS! IL S'EST ARRÊTE, CA N'AVANCE PLUS CES MACHINS-LA! Il n'a même pas reculé. Il est resté au point mort, comme en duel, yeux dans les yeux. Il fume. Il capote sous le capot. Il pue.
Quand la porte s'est ouverte, c'est de la musique qui en est sortie. Et le pingouin aime ça, la musique. De la bonne vieille disco flash hip hop hippie. Un truc du jamais-entendu.
Ça sentait bon la route...

lundi 2 janvier 2012

2.5 LE PINGOUIN (partie 4)



ATTENDS AVANT DE PARTIR! TU NE VAS PAS LAISSER TON BIG BAG COMME CA! Le singe est sherpa du pingouin. Ses jambes deviennent des allumettes, les genoux craquent sur la pression et ça fait des étincelles. Le singe est sherpa du pingouin. Il porte un big bag sur les épaules, et c'est tout ce qu'il a. Mais il ne sait pas que c'est pour toujours.
Le pingouin rêve d'icebergs en éruption, de Terra Incognita, mais TOUT LE MONDE SAIT QUE LE MONDE EST à DECOUVERT LES BRAS EN L'AIR, et que, par conséquent, Terra Incognita est ailleurs. Les icebergs bétonnés de NEW-YORK-PLASTIC-CITY le dégoûtent comme peuvent goutter les glaçons sous les rayons ultraviolets. Ils dégoulinent ET IL RESTE QUOI EN FIN DE COMPTE? Des édifices osseux, des colonnes colossales, des ruines vouées à demeurer comme ça, fixes. Wall Street est une impasse. Et les loupiotes de Broadway clignotent comme clignotent les feux de signalisation, les systèmes d'alarme, les feux de détresse. C'est plein de détresse dedans. Détresse pour les hommes qui courent et qui s'étalent sans savoir que les icebergs coulent. C'est triste. Détresse à travers les canalisations qui canalisent tout tout tout, les eaux, le feux, l'air comprimé, les bouts de terre, les éléments. Canalisations de la détresse pour la concentrer et la faire vomir par les robinets, les égouts, les piscines, les chiottes, les embouchures, les conduits d'air et c'est tout NEW-YORK-PLASTIC-CITY qui dégueule. Le pingouin est déçu. Bec baissé, il croise l'ombre du singe sherpa. Il a l'air de lui coller au cul comme un chewing-gum qui fait des fils. C'est un putain de gars qui s'est fait mâché des tonnes de fois, il se dit. C'est un putain de gars qui semble vouloir faire la plus grosse connerie de sa vie, comme... comme en ce moment, faire ce qu'il n'a pas droit de faire. Une tentative d'échappatoire, un risque d'exit. Il se fait sherpa pour ne pas être autre chose. D'ailleurs il a tout essayé déjà, et sherpa n'était pas dans sa to-do-liste.
Ensemble, ils ont les pupilles dilatées. Ils captent tout ce qu'il y a à capter. Le singe dans sa peau de sherpa, et le pingouin dans sa peau de pingouin, ils scrutent les perpendiculaires et les parallèles de la Ville. Il y a des Chinois jaunes qui déménagent des sofas rouges, et c'est alors la révolution dans la rue. Les taxis jaunes klaxonnent sonnent comme des képis sous acide. Les passants qui passent marchent au pas et ce sont leurs cheveux qui bougent. C'est un jour d'hiver (ou divers?!) qui laisse passer la fumées par les bouches, et c'est un brouillard qui naît.
Et c'est ça qu'on appelle CHANGER D'AIR?
Alors le pingouin quitte NEW-PLASTIC-CITY, en apportant avec lui les coulisses dégueulasses d'icebergs en plastique, d'icebergs « pour-de-faux » qui ne dégoulinent même pas « pour-de-vrai ». Le singe suit. Il est sherpa (n'oubliez pas!). Tous les deux marchent vers le nord. Vers Montréal-Frenchy-Cosy, pour retrouver le repère exact, le phare de la conquête. Tous les deux veulent se rendre là-bas.