jeudi 5 avril 2012

2.13 LE PINGOUIN (Méditations)




Dans un fourgon blindé blindé, blindé comme une tortue, une caisse qui sonne ses dernières heures, un vieux tacot qui TEUF TEUF il y avait un vieux Québécois dedans. Et il gardait les deux mains sur le volant car il fallait garder le cap ET LE CAP, MOI, JE SAIS LE GARDER qu'il disait. Il avait embarqué le pingouin pour rester les yeux ouverts assez longtemps et rentrer chez lui, parce que le Grand Nord touchait à sa fin, parce que le soleil se faisait la malle lui aussi. Au Yukon, les éléments se mettent à couler chaque saison: la neige au printemps, les couleurs en automne.
Il fallait lui raconter des histoires mais des histoires, le pingouin, il n'en connaissait pas. Ou bien elles étaient toutes foutues, sans grand suspens, sans intrigue extraordinaire. MAIS DES HISTOIRES, TU DOIS BIEN EN VIVRE 'STIE QUAND TU TRIPPES COMME UN PINGOUIN!
Mais le pingouin n'a pas d'histoire à raconter. Il y a des sensations, le battement continu du cœur qui BOUNCE BOUNCE, des yeux qui voient et qui se marrent et qui s'étiolent pour passer à autre chose, des bouches pour parler et blablater autant qu'on puisse blablater sans se prendre au sérieux, car SE PRENDRE AU SERIEUX, C'EST DEVENIR FOU! (dixit le Chux, un autre pingouin qui trip en acide d'ostie!). Dans les histoires, les détails flous prennent de l'importance, l'action est au cœur comme un cratère, une éruption, un HIROSHIMA de sérieusitée. Il n'y pas plus complexe comme une intrigue, telles que les histoires d'amour qui n'en finissent pas et détruisent, et rendent fou les protagonistes.
Le pingouin n'a rien à raconter comme histoire. Le Snake, c'est de la méditation. La route, c'est de la méditation. Les Grands Corbeaux qui gueulent, c'est de la médiation. Et le vieux Québécois, qui tenait encore plus fort le volant dans ses mains, l'écoutait la bouche ouverte. Un fil de bave.
Jack Kerouac s'en branlait pas mal de l'histoire, et ses poèmes tiennent pas mal des mantras, le Snake l'avait pris à la gorge alors, forcément, il ne pouvait plus qu'à cracher tout ce qu'il lui disait.
Le vieux Québécois regardait la route comme l'horizon, mais C'EST L'HORIZON QUI DEFILE SOUS MES PIEDS?! L'espace se décontracte, il a trop été estomaqué par la sérieusitée.

Ils ont roulé plusieurs heures sur l'Alaska Higway.

'STIE! FAUT QU'ON S'ARRÊTE AUX LIARD HOTSPRINGS! C'est un trou d'eau chaude qui sort de la terre, au milieu des arbres. Liard Hotsprings, son nom fait penser à une mascarade, à un mensonge. Sans doute que les premiers propos de cette découverte n'avaient pas été pris au sérieux, que ce n'était que les dires d'un menteur. Liard Hotsprings.
Le pingouin a vu toute cette eau sortir de la terre. Elle fait des bulles, elle bouge, elle parle, elle coule vite vite pour ne plus s'arrêter, et se transformer quelque part en édifice d'icebergs en rut.

Le pingouin et le vieux Québécois ont le cul trempé, les pieds qui papotent dans l'eau fumante qui ronronne. Ils regardent l'eau qui monte monte en vapeur, comme un iceberg en fusion.

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