lundi 26 décembre 2011

2.4 LE PINGOUIN (partie 3)



Évasif, sur le carrelage de la gare centrale, le pingouin somnole et ne voit plus ses yeux se fermer. Il cherche une minute de répit, il ne veut plus battre de l'aile, il veut hiberner un moment. Les carrelages sont froids mais il y a cette musique baroque qui lui rappelle LA-BAS, avec toute les splendeurs des cathédrales, toute la merveille des ciels couverts, tous les échos qui prennent au cœur qui font se sentir bene bene. Le pingouin se souvient, et il est bien. La musique classique lui rentre par le bec (un pingouin n'a pas d'oreille ni d'orifice autre que le bout du bec). Il chante avec les yeux d'un cochon d'Inde en plein extase.
Y a un gars qui marche comme un singe, les bras touchent presque le sol. Et ses genoux! CE NE SONT PAS DES GENOUX MAIS DE LA GELATINE! Regardez comme il se balance, comme il danse, comme il se pavane sur la piste, et il avance vers le pingouin.
HI MAN, DO YOU A DOLLA' FO' A KOFFY? Claquement de bec, le pingouin sursaute et ça fait DING DING dans sa pocket. Elle est pleine de love. Alors il se lève tant bien que mal (ce n'est pas évident pour un pingouin de se lever) et il se met à marcher vers le Koffy Cosy de la gare sans rien dire. Le singe le suit.
« Sanksss mec! Je dois t'avouer que des pingouins comme toi, on n'en voit pas à tous les coins de rue. Je dirais même j'en avais jamais vu avant. C'est plutôt balèze, l'air de rien. Tu fais quoi comme ça par ici? On ne t'a pas dit que c'était dangereux pour un blanc bec comme toi de se la ramener si tu n'as pas de quoi hiberner. Je prendrai bien un grand café, celui-là, là. Un café pour me remplir les sinus et reprendre le courant tranquillou pour la journée, un One-Man-Shot comme je les appelle. J'ai besoin de mon One-Man-Shot et je roule toute la journée. Tu ne m'as pas répondu, tu fais quoi par ici? Tu changes d'air? Ici tout le monde veut changer d'air alors je ne comprends pas ceux qui s'amènent ici sous prétexte de le changer, c'est mieux ailleurs. C'est comme un rat qui se mord la queue, hein? Hahahaha (rire d'édenté, il n'apparaît qu'un chicos) T'aimes les rats?.. Tu prends un café aussi? Tu as intérêt si tu ne veux pas crever dans cette ville. Les cadavres, on n'aime pas ça ici. Il y a des bennes à ordures pour ça. Oui oui, ils te foutent dans une benne, tu as bien entendu. T'es pas venu pour ça? Raconte moi tout un peu. »
Le pingouin goûte au Koffy. C'est pas cracra dans le fond, ça le tient au chaud.
« Ok mec, si tu ne veux pas me le dire ce n'est pas mon problème, c'est pas le plus important hé? Tu es là et c'est ce qui compte. Je viens de finir mon Koffy, tu veux bien m'en payer un autre? Merci. T'es plutôt chouette pour un piaf mou du bec. Un autre singe de la gang n'aurait pas dédaigné lever le petit doigt comme ça (un pingouin n'a pas de doigt, soit dit en passant). Surtout pour un Koffy Cosy, et pourtant tu sais maintenant que j'en ai besoin, de ma dose de Koffy. T'as d'la chance d'être tomber sur moi, parce qu'avec ta gueule, t'es vite repéré. Tout le monde te vois pour un pigeon. Mais t'as de la chance mon pingouin, moi je ne suis pas comme ça, je t'ai reconnu tout de suite, tu m'as fait PAF dans l'œil. Je sens qu'on va bien s'entendre. »
Le pingouin se met à le regarder. Ses cheveux sont partout partout sur la tête, on se demande comment qu'il peut entendre. Il ne porte qu'un pantalon, un LEVIS tout écrevisse. Et même pas de godasses, comment qu'il fait pour marcher le singe? Ses mains touchent presque le sol quand il se pavane, il a toujours un doigt collé sur la hanche, serrée à la ceinture.
« T'as pas de sac? Tu as quoi comme STUFF? Juste un bec cloué et une paire de godasses? »
Le Pingouin a des morceaux du Snake collés à la semelle. Comme des bribes de lumières, des collants de soleil, collés aux souvenirs. La langue de sa semelle ressemble à toutes la route belle (ou cruelle). Elle porte les stigmates des grandes voies, des Gulf Stream du Vieux Monde. Il possède tous les courants de la marche, tous les grands carrefours de fous furieux qui n'en finissent pas de voir carrefourer les grands espaces. Le pingouin a le bec qui incurve: il sourit.

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